La carrière du Suprême NTM avait commencé en trombes : de multiples freestyles, des apparitions télé, un titre sur "Rapattitude", un clip où ils étaient habillés par Jean Paul Gaultier et pour finir, un premier album ("Authentik") qui s'était écoulé à 90 000 exemplaires en quelques mois. Sur ce disque, on ressentait une certaine urgence, qui laissait parfois une impression de brouillon, notamment au niveau du flow. La rage et le talent étaient cependant déjà là. Puis deux années s'écoulent. Et vient le moment fatidique du second album.
Pour beaucoup d'artistes, le deuxième disque est reconnue comme une étape difficile. En plus de cette "vérité", le Rap est une nouvelle fois dans une case à part. Souvent, le premier disque d'un artiste Rap sera son chef d'oeuvre (Nas et son classique "Illmatic" ; le Wu-Tang et le magnifique "Enter the Wu-Tang : 36 Chambers" ou NWA avec "Straight Outta Campton"). Certes certains artistes dépassent le niveau de leur premier album lors du second, mais ils sont rare. L'exemple le plus criant étant Public Enemy qui avec "It Takes A Nation Of Millions To Hold Us Back" ont largement surpassé leur premier album. NTM est de ces artistes.
Tout d'abord, les sons - toujours produits en majeure partie par Dj S - ont évolués. Ce dernier a quelque peu délaissé le beat trop récurrent dans le premier album (dû à l'aspect freestyle de certains morceaux) pour favoriser quelques fois l'harmonie, sans pour autant créer de vrais compositions - la (courte) boucle étant toujours de mise. Si la réussite de Dj S est, sur ce disque, quasi complète, les autres producteurs ne font pas taches pour autant. Lg Exp signe un bon 'Pour un nouveau massacre' et les Beatnuts produisent l'excellent 'Qui paiera les dégâts ?'. Tahar et Joey Starr signent ensembles deux titres : 'Prisonnier du passé' et 'C'est claire Part. 2'.
Le flow a lui aussi changé. Cela se remarque tout au long de l'album, à commencer par les titres plus lents, comme 'J'appuie sur la gâchette'. Au niveau des textes, le discours reste le même vis à vis de l'état ('Qui paiera les dégâts') ou de la police (dans le sulfureux 'Police'). La noirceur de certains morceaux prouve même un pessimisme presque résolu des deux protagonistes - particulièrement visible dans le titre éponyme ou dans le terrible interlude 'En direct de Bujolvik'. Dans cet ensemble très dense, des morceaux sont plus légers. Ce ne sont assurément pas les meilleurs ('Juste pour le fun', 'De Best') mais ils ne flinguent pas le disque pour autant. La pochette de l'album indique d'ailleurs dès le départ un disque sombre.
Le meilleur titre de cet album est sans hésitation possible 'J'appuie sur la gâchette'. Dans ce récit pessimiste et totalement dépressif mené à la première personne, les deux emcees décrivent la vie d'un quadragénaire faisant le bilan de sa vie gâché. Deux interludes de Joey et deux couplets et Shen permettent de créer un environnement étranglant, clos en "beauté" par le suicide de cet homme. Le texte fort et totalement désabusé, porté par la musique tout simplement parfaite de Dj S font de ce morceau le meilleur titre du répertoire du Suprême NTM.
"1993... J'appuie sur la gâchette" se présente au fil des années comme le meilleur album du groupe. Certes, "Paris sous les bombes" est plus musical, mais il sonne déjà quelques peu "commercial" avec des titres comme 'La Fièvre' ou 'Tout n'est pas si facile'. Cet album là est brut, rêche et difficile d'accès pour le grand public. Mais il n'empêche. Comme leurs aînés de Public Enemy, le Suprême NTM a fait de son second album son chef d'oeuvre, son joyaux dans une discographie pourtant portée par de nombreux coups d'éclats.